Franoise Bibiane Yoda - Universitas Forum, Vol. 3, No. 1, february 2012
EN PRATIQUE
RAPPORT DE LEXERCICE DE CAPITALISATION DU PROJET PROMOTION DE LA PARTICIPATION DES FEMMES A LA GOUVERNANCE LOCALE AU BURKINA FASO

Franoise Bibiane Yoda *

Introduction

Au Burkina Faso, malgr lexistence dinstruments juridiques posant le principe dgalit des droits pour tous les citoyens sans distinction de sexe, les hommes et les femmes ne jouissent pas encore des mêmes priviléges quant à leur participation à la vie publique et à la gouvernance locale. Lanne 2006 a consacr la communalisation intgrale du pays, ce qui a permis llection de 6400 femmes au poste de conseilléres municipales contre 11477 lus chez les hommes. La socit civile sest fortement investie dans les projets de promotion dune meilleure participation des femmes à ces consultations lectorales. Le Rseau Femmes en Action (RFA) a mis en oeuvre en 2005 le projet de promotion de la participation des femmes à la gouvernance locale au Burkina Faso (PPFGL-BF). Ce projet a eu comme objectifs de susciter lveil politique et une prise de conscience des femmes pour amliorer leur position dans les consultations lectorales et lever le niveau de leurs capacits civiques en vue dune participation effective et efficiente au processus dmocratique.

La mise en oeuvre du projet qui sest faite à travers une recherche-action a dur une anne et a permis datteindre les rsultats suivants:
- 4500 femmes connaissent et matrisent leurs droits et devoirs civiques;
- 4500 femmes ont pris conscience de leurs rles dans le processus de dmocratisation et de dveloppement local;
- 4500 femmes comprennent le sens du vote et savent voter;
- 4500 femmes comprennent les enjeux de la dcentralisation et la ncessit de participer effectivement et consciencieusement aux lections dans les communes urbaines et rurales;
- les acteurs au niveau local sont sensibiliss et acceptent de simpliquer dans la mise en oeuvre des projets de promotion des femmes.

Aprés la mise en oeuvre du dit projet et aussi à la fin du mandat des conseillers, le Rseau a souhait faire une capitalisation du projet dans le but den tirer des leons visant à les amliorer, mais galement à inspirer dautres acteurs de dveloppement qui voudraient travailler sur la thmatique femme et gouvernance locale . Cette capitalisation sest faite à travers une documentation de lexprience du projet (collecte de donnes à travers des interviews des acteurs et actrices du projet à la base, traitement et analyse des informations, montage et mixage de support audio en cassette et CD ROM/DVD). A travers cet exercice de capitalisation, le Rseau a essay de faire ressortir la plus-value du projet dans la participation des femmes à la gouvernance locale. Les diffrents acteurs et actrices ont eu la possibilit de sexprimer, chacun en fonction de son contexte et de ses ralits quotidiennes, ce qui a permis de vrifier les rsultats atteints et constituer une masse importante de recommandations et dactions pour la suite du processus marqu par des lections municipales en novembre 2012. La capitalisation a t galement ralise pour venir en appui aux radios locales partenaires en les dotant de cassettes et CD ROM pour la radiodiffusion.


Affiche de sensibilisation : la candidate en campagne lectorale

Pour la ralisation de la prsente mission, le Rseau sest entour des comptences dune experte en genre et gouvernance appuye par un communicateur. Les acteurs contacts sont le staff du RFA (initiateur du projet), les acteurs à la base notamment les femmes conseilléres et Maires des communes urbaines et rurales, les leaders dopinions, le pool de comptences au niveau local[1]. Il faut souligner galement que le Rseau est dans un processus continu de concertation avec les autres organisations de la socit civile pour harmoniser leurs interventions pour plus defficacit sur le terrain. Cest ainsi que plusieurs rencontres de concertation ont t organises pour dfinir ensemble une stratgie commune dintervention et une rpartition des zones dintervention. Au cours de la capitalisation, les consultants se sont donc tout naturellement intresss à cette dynamique des organisations car juge importante en terme de renforcement du processus pour les annes à venir.

La collecte, le traitement et lanalyse des donnes a permis dlaborer un support audio de 26 minutes en cassettes audio et CD ROM. Elle a galement permis dlaborer le prsent rapport de capitalisation qui prsente les acquis du projet, les difficults internes et externes, ainsi que des recommandations visant à dynamiser la participation des femmes à la gestion des collectivits locales au Burkina Faso.


Sance denregistrement dune mission radiophonique

Le contexte

Situation socio-conomique
Le Burkina Faso est un pays enclav dAfrique de lOuest à faible revenu qui compte environ 14 millions dhabitants. Pauvre en ressources naturelles, lconomie du pays tait tributaire des exportations du coton et vulnrable aux chocs exogénes mais ces deux derniéres annes le secteur minier a pris de lampleur sur le plan des exportations. Entre 2000 et 2008 le pays a enregistr un taux de croissance moyen de 5,2%. Ce taux a chut de 5,2% en 2008 à 3,2% en 2009 du fait dune srie de chocs exogénes (choc climatique, crise nergtique, fluctuation des prix des matiéres premiéres, crise financiére mondiale). En 2010, lconomie sest redresse avec un taux de croissance de 7% en raison dune augmentation substantielle des exportations dor combine à une hausse du prix du mtal sur le march international. Le taux de pauvret au Burkina est estim à 43,9% et le pays occupe le 161éme rang sur 169 pays selon lindice du dveloppement humain (IDH) 2010 publi par le PNUD.

Situation politique
Le pays jouit dune stabilit politique depuis 1987 avec des politiques conomiques davantage axes sur le march et sa rintgration au sein de la communaut internationale. Depuis 1991 date dadoption de la constitution, des lections prsidentielles, lgislatives et municipales sont rguliérement organises.

Au niveau de la gestion du pouvoir dEtat, dune maniére gnrale, les femmes ont toujours t sous-reprsentes dans les institutions nationales et locales depuis lindpendance du pays. Le nombre de femmes dans chaque gouvernement na jamais dpass cinq (05), et celles-ci ont gnralement occup les domaines qui renvoient à leur rle social (enseignement, action sociale, promotion fminine, etc.). Ainsi, par exemple, le gouvernement de juin 2007 na pas drog à la régle puisquil compte 5 femmes sur 34 ministres et ministres dlgus, soit un taux de 14,24 % de reprsentation fminine. Au niveau des postes lectifs, même si lon constate des amliorations, le progrés se fait toujours attendre. Durant la priode 1959-2002, les chiffres indiquent un total de 537 hommes contre 30 femmes qui ont sig au Parlement : ce qui reprsente seulement 5,29 % (1,4 % à la premiére lgislature, 9 % à la deuxiéme, 12 % à la troisiéme et 14 % à la quatriéme). Quant au pouvoir local, la reprsentation des femmes lues a progress à raison de 8,9 % en 1995, 20,8 % en 2000, et 35,80 % en 2006. Sur les 351 maires que compte actuellement le pays, 20 seulement sont des femmes.

Bréve prsentation du Rseau Femmes en Action

Le RFA a t cr en 2003 avec pour mission de contribuer à la rduction de la pauvret au Burkina Faso par laccompagnement des communauts de base (organises en associations, groupements agricoles, micro-entreprises rurales, coopratives, etc.) dans divers domaines visant leur autopromotion et leur pleine participation au processus de dveloppement à la base.

Ses objectifs:
- Accompagner les organisations de base dans le dveloppement et le renforcement de leurs activits gnratrices de revenus (filiéres agro-sylvo-pastorales) ;
- Promouvoir une ducation citoyenne au sein des communauts de base ;
- Favoriser la participation des organisations de base à llaboration, à la mise en oeuvre et au suivi/valuation des programmes de dveloppement au niveau local ;
- Promouvoir les droits et la citoyennet des femmes, leur participation à la gestion des collectivits locales ;
- Valoriser les expriences et contributions des organisations de base en particulier celles des femmes et favoriser lmergence dexpertises fminines au niveau local ;
- Dvelopper un partenariat entre les acteurs à la base (autorits locales, communauts de base, leaders dopinion, etc.) pour travailler à la rduction des ingalits sociales.

Organisations partenaires de la plateforme de concertation pour une stratgie commune sur Femmes et Gouvernance Locale
- le RFA ;
- le Rseau des Femmes Rurales du Burkina ;
- WILDAF/ Afrique FeDDAF (Women in Law and Development in Africa/Femmes, Droit et Dveloppement en Afrique) ;
- Organisation des Femmes Unique Soutien de famille ;
- Association Pugwisenga ;
- Association Etre Femme ;
- le Rseau des Femmes Maires du Burkina ;
- lassociation des chefs coutumiers du Burkina ;
- le Rseau des radios communautaires pour le dveloppement.

Partenaires techniques
- Ministére de ladministration territoriale, de la dcentralisation et de la scurit ;
- Ministére de la promotion de la femme

Les acquis du projet

Au terme de cette capitalisation, les acquis suivants ont t relevs :
- Stratgie de recherche-action participative trés bien apprcie par les femmes de base, les femmes superviseuses, les responsables coutumiers[2], les premiers responsables du Rseau ;
- Pertinence des contenus des modules dispenss ;
- Disponibilit de comptences en citoyennet, droits humains, systéme politique, lections, etc. au niveau local ;
- Sollicitation des comptences locales mises en place par le Rseau par dautres organisations et collectivits;
- Contributions trés apprcies de certaines femmes conseilléres lors des sessions du conseil municipal et dans les commissions (accés des femmes aux primétres marachers).
- Matrise des procdures dtablissement des piéces dtat civil par les femmes à la base ;
- Identifications des vrais obstacles à la participation des femmes en politique;
- veil des consciences des hommes et des femmes quant à lanalyse des programmes des candidats pour faire des choix objectifs lors des lections;
- Prise de conscience de la ncessit dencourager les femmes à simpliquer dans la politique;
- Motivations de certaines femmes à rebeloter les prochaines chances ;

Je suis conseillére à Nagrongo et jai travaill dans la commission de lenvironnement. Je me suis battue au sein de cette commission pour que les femmes actives dans la production de loignon sur la rive droite du barrage de Ziga aient des primétres pour le travail collectif en groupement et pour le travail individuel des femmes. Mme Asséta Congo

En plus de ces acquis, il convient de souligner que le projet a suscit lveil de conscience des femmes et des hommes et plusieurs femmes ayant pris part au projet ont accept de sinscrire comme candidates sur les listes des partis politiques afin de briguer des postes lectoraux. Certaines dentre elles ont t lues conseilléres municipales et occupent actuellement des postes de premier adjoint au maire et de prsidente de commission au sein du conseil municipal. Le projet a permis le renforcement institutionnel et matriel du Rseau pour être encore plus outill en ressources humaines et matrielles pour plus defficacit sur le terrain. Les outils et mthodologies utiliss au cours du projet ont montr leur efficacit dans les zones du projet.
Au niveau de lenvironnement politique du pays, des avances ont galement t notes : il sagit de ladoption en 2009 de la loi sur le quota de 30% de lun ou lautre des sexes aux lections municipales, et de la politique nationale genre du Burkina Faso.

Les difficults internes et externes rencontres

En plus des acquis du niveau micro jusquau niveau macro, la capitalisation a relev un certain nombre de difficults lies à lenvironnement interne du projet mais aussi à lenvironnement externe.

Au plan interne, il sagit de :
- La persistance de certains obstacles à lpanouissement des femmes (pesanteurs socioculturelles, analphabtisme, faible pouvoir conomique, surcharge de travail, etc.) ;
- Le mauvais positionnement des femmes sur les listes des partis politiques ;
- Le manque de confiance de certaines femmes vis-à-vis des partis politiques ;
- Labsence de candidatures indpendantes dans le systéme lectoral du Burkina Faso ;
- La dure du projet juge insuffisante (une anne) ;
- La participation trés faible de certaines femmes aux sessions municipales, abandon par dautres qui regrettent leurs expriences :

Pour ce qui est du projet cest une bonne initiative parce quil a contribu à veiller nos consciences et renforcer nos connaissances mais en ralit la participation aux sessions du conseil municipal est difficile, par exemple si je dois quitter ma maison, aller sjourner 3 jours à Ouahigouya cest difficile. Les frais de sessions qui sont de 2000 Fcfa par jour ne me permettent pas de faire face aux besoins. En plus quand je mabsente, mon commerce est ferm, pourtant cest ma principale source de revenus. Je suis veuve avec 5 enfants qui vont à lcole. Si on me demande de rebelotter ma place de conseillére je ne my aventurerai plus jamais. Zenabo Kabor

Je mappelle Ouedraogo Limata, je suis conseillére à la commune de Gounghin. nous sommes deux femmes à siger au conseil municipal. Les documents des sessions nous parviennent tard. En plus je suis analphabéte et il mest difficile de bien prparer la session. Aussi, si la session tombe le jour du march, je ne peux pas y aller car jai rendez-vous avec mes clients. Cest vraiment difficile. Cest mon frére agent technique dagriculture qui maidait à prparer les sessions et me traduisait en moor (langue locale) pour que je puisse comprendre les enjeux. Ce qui me permettait de participer activement aux discussions. Cest lui qui lisait les documents. Le fait de navoir pas fait lcole est un grand handicap pour ma participation active aux sessions du conseil. Ouedraogo Limata

Concernant les difficults externes, elles sont surtout lies :

- Au dmarrage tardif de la capitalisation (non disponibilit des acteurs pendant les vacances dAoût et les travaux champêtres) ;
- A lindisponibilit des responsables des partis politiques à accorder des interviews ;
- A la crise socio-politique que le pays a traverse au premier et deuxiéme trimestre de lanne 2011: cette crise a entran un sentiment gnral de mfiance des acteurs à sexprimer pendant cette priode sensible (ce qui a rendu quelque peu difficile la ralisation de certaines interviews).

Raccomandations

Pour accompagner le Rseau et les autres acteurs dans la mise en oevre dactions de renforcement de la participation politique des femmes, les recommandations suivantes ont t formules :

Recommandations à lendroit du Rseau :
- Diffuser le support audio à travers les radios communautaires dans les zones dintervention du projet et dans les autres zones pour sensibiliser un plus grand nombre dacteurs et actrices à la base sur la ncessit dencourager la participation des femmes à la gestion des collectivits locales ;
- Renforcer la position du Rseau en matiére de promotion des droits civiques notamment politiques par la mise en place dun projet pour dynamiser la participation des femmes dans la gestion des collectivits locales. Il sagira en autre de raliser un diagnostic approfondi et crer une base de donnes sur le leadership local, formuler des pistes dactions et mettre en oevre le projet dans un dlai dun mandat dans des rgions bien spcifies (2012-2017) ;
- Renforcer sa participation au plaidoyer de la socit civile pour ladoption dune loi portant institution des candidatures indpendantes au Burkina Faso ;
- Initier un projet spcifique de participation aux lections de 2012 à travers une mission dobservation de la transparence et de lquit en matiére dorganisation des lections, gage dun encrage dmocratique à la base au Burkina Faso.

Pour russir cette nouvelle mission, le Rseau a besoin du soutien des autres partenaires, notamment les autorits politiques du pays, les organisations internationales et interafricaines, les organisations de la socit civiles du Burkina Faso, les responsables des partis politiques, les leaders dopinion et les femmes à la base.

A cet effet, les recommandations suivantes leurs sont formules :
- soutenir la ralisation de lObjectif du Millnaire pour le Dveloppement n3 galit des sexes et autonomisation des femmes en accompagnant les projets ports par les ONG, coalitions, et Rseaux dans les diffrents pays en Afrique de lOuest pour promouvoir une participation qualitative des femmes dans la gestion des collectivits locales ;
- exiger des gouvernements des comptes en matiére dlaboration de textes et lois mais aussi en matiére dapplication effective de ces instruments ou accompagner les gouvernements dans des actions pour faciliter lapplication effective des textes ;
- faire preuve dune volont politique relle en prvoyant des dispositions pratiques qui obligent les responsables des partis politiques à respecter la loi sur le quota pendant la composition des listes de candidats aux lections locales de novembre 2012 et mettre en place un fonds de soutien aux femmes candidates et lues ;
- renforcer laccés, la reprsentation et la participation galitaire des hommes et des femmes dans les sphéres de dcisions, notamment les conseils municipaux, à travers une identification plus approfondie des entraves qui empêchent les femmes de participer aux prises de dcision au même titre que les hommes et lorganisation des programmes de sensibilisation - communication à lendroit des communauts sur les bonnes pratiques, en prenant en compte les spcificits culturelles de chaque cible ;
- diffuser les expriences positives de participation à la gestion des collectivits locales, pour encourager les autres femmes.


Travaux en groupe de femmes animatrices

Conclusion

Au terme de cette exprience de capitalisation de projet de promotion de la participation des femmes à la gouvernance locale au Burkina, des acquis ont t relevs sur le plan quantitatif et qualitatif. Des difficults ont galement t releves aux diffrents niveaux. Les recommandations ainsi formules permettront sans doute de relever ces difficults mais surtout de dynamiser la participation des femmes lors des consultations lectorales à venir. Lenvironnement politique et juridique du pays a connu des avances avec ladoption dinstruments favorables aux femmes. Cette somme dexpriences contribuera non seulement à amliorer les approches de travail, notamment la recherche-action participative, mais aussi renforcera la production de connaissances sur la gouvernance locale qui seront diffuses à la base à travers des canaux adapts (radios). Le dfi actuel est de russir lapplication effective de ces instruments à la base en faveur des hommes et des femmes. Cela requiert limplication et lengagement de tous les acteurs et actrices du dveloppement. Les femmes qui sont longtemps restes en marge du processus de dveloppement, notamment dans la gestion des affaires locales doivent maintenant participer à travers un leadership confirm à tous les processus. Le Rseau est toujours engag à poursuivre sa mission dappui aux femmes et compte aussi sur le soutien de ses partenaires.


* Franoise Bibiane Yoda est directrice excutive du Rseau Femmes en Action, Ouagadougou, Burkina Faso.

1. Femmes formatrices charges de la formation au niveau local.

2. Leaders traditionnels.

3. Franc de la Communaut Financiére Africane (1 Euro = 655,957 F CFA).

Universitas Forum, Vol. 3, No. 1, february 2012





Universitas Forum is produced by the Universitas Programme of the KIP International School (Knowledge, Innovations, Policies and Territorial Practices for the UN Millennium Platform).

Site Manager: Archimede Informatica - Società Cooperativa