Founé IAD - Universitas Forum, Vol. 3, No. 1, February 2012
EN PRATIQUE
PLATEFORME D’APPRENTISSAGE ENTRE COMMUNAUTE PAYSANNE ET COMMUNAUTE UNIVERSITAIRE SUR LES RESSOURCES SEMENCIERES :
L’EXPERIENCE DE KAMBILA AU MALI

Assetou Founé *

Contexte du projet

L’agriculture paysanne familiale fournit la grande part de l’alimentation des populations en Afrique en général et au Mali en particulier. Les communautés rurales agricoles ont développé d’énormes savoirs et connaissances dans la pratique agricole, notamment dans la gestion de l’agrobiodiversité. A présent l’expertise paysanne permet de conserver la grande diversité des ressources génétiques végétale et animale au Mali.

L’université et les grandes écoles à vocation agricole sont aussi engagées dans la conservation des ressources génétiques et possèdent à leur tour des savoirs et connaissances dans ce sens. Malheureusement les savoirs et connaissances paysans sont marginalisés dans les approches universitaires. Cette situation engendre une coexistence de deux types de savoirs qui évoluent en parallèles et communiquent faiblement. Cet état de fait est un handicap sérieux à la politique du savoir en général et à la promotion des sciences agricoles au Mali en particulier.

La question fondamentale qui se pose d’elle-même est la suivante : comment créer une convergence, une synergie entre ces deux types de savoirs au profit de l’agriculture, de la gestion durable de l’agrobiodiversité et au profit des deux communautés universitaire et rurale ?

Au delà du rapprochement des savoirs, la connaissance des différents acteurs et leurs rôles respectifs dans la pratique agricole est aussi une nécessité afin de mieux orienter les politiques agricoles en matière de genre au Mali. Cette dimension est fondamentale, car l’agriculture africaine en général et l’agriculture malienne en particulier reste fortement marquée par une grande disparité entre les hommes et les femmes en termes de participation, d’accès aux ressources agricoles naturelles, d’appui financier et technologique. Les femmes sont présentes à tous les niveaux de la production agricole : la production et la conservation des semences, le labour des champs, les semis, l’entretien des champs, la récolte, la conservation post récolte et la transformation de la production pour les besoins de la famille et du marché. Malgré cette forte présence des femmes dans la chaîne de production agricole, leurs efforts, savoirs et savoir-faire restent silencieux dans les sphères de débats, recherches et décisions. Ces réalités qui relèvent de l’organisation sociale du travail, des rapports de forces et du pouvoir ne sont pas une fatalité. Elles méritent d’être connues et pour cela, elles doivent figurées dans les enseignements, apprentissages et recherches universitaires africaines.

Le présent projet est une proposition de solutions qui visent à construire des démarches de partage et de convergence des savoirs universitaires et paysans; à mieux connaître les réalités de la production agricole au Mali, notamment dans sa dimension genre. Le projet serait focalisé sur un des aspects de la production agricole à savoir la gestion durable des ressources semencières.

La méthodologie de travail

La méthodologie de travail est fondée sur l’apprentissage à travers des activités concrètes au sein et au profit d’une communauté donnée d’où l’appellation Apprentissage par le Service Communautaire (ASC).

L’apprentissage par le service communautaire est une approche pédagogique qui intègre les apprentissages programmés dans les universités et d’autres apprentissages hors de l’université afin de créer, diffuser des savoirs communs et d’améliorer les conditions de vie des communautés. Les apprentissages hors université s’acquièrent au cours des Services accomplis au sein des communautés. L’ASC est avantageux aussi pour les communautés que pour les universitaires dans le sens où, le service fourni à la communauté et l’apprentissage qui en résulte créent l’équilibre quant’ aux avantages générés pour tous les participants.

Les acteurs engagés dans l’expérience d’ASC

- Le ou la spécialiste de l’ASC : cette personne joue un rôle crucial dans une initiative d’ASC, car il constitue le principal lien entre la communauté universitaire composée du corps professoral, de l’administration universitaire, des étudiants et les organismes communautaires. Dans le cas présent l’organisme communautaire est la communauté rurale de Kambila au Mali. Le rôle de spécialiste ASC est de faciliter le partenariat entre les deux communautés, ce rôle exige surtout une solide connaissance et une bonne compréhension des réalités propres aux organismes communautaires ainsi que du monde de l’éducation et de l’enseignement.

- L’enseignant/ enseignante ou les enseignants engagés dans l’ASC : cette personne est la principale éducatrice ayant la responsabilité de la préparation des étudiants sur la thématique qui serait au centre de l’ASC. Pour cela, elle élabore une démarche pédagogique qui définit les buts, la planification et l’évaluation de l’apprentissage. Il aide également les étudiants à faire le lien entre les apprentissages formels faits à l’Université et les apprentissages expérientiels hors de l’Université c'est-à-dire au sein des communautés. Le rôle de cet enseignant/te est aussi de créer une relation de complémentarité afin d’amener les membres des organismes communautaires à agir comme des co-éducateurs, détenteurs de savoirs et de savoir faire sur la thématique choisie. Enfin le rôle de l’enseignant/te est de faire ressortir et de faire comprendre aux étudiants, les inégalités et les injustices sociales qui peuvent être liées à la thématique choisie. Il s’agit à ce niveau de faire ressortir les sources et les liens de causalité des inégalités sociales, des problèmes sociaux, tels que le sexisme, le racisme, etc. qui constituent des barrières et des restrictions aux potentialités et capacités des peuples, des communautés et des groupes de genre tels les femmes. L’enseignant/enseignante doit s’atteler à construire l’apprentissage, en soulevant la question de la responsabilité sociale des universitaires dans les choix des solutions face aux problématiques de l’heure, leurs intérêt individuels et professionnels face à l’intérêt et aux biens communs. L’enseignant/te doit intégrer et aborder les concepts de citoyenneté, de changement social et de progrès social avec les étudiants afin de donner un sens civique aux interactions et apprentissages qui seront exécutés. Cette dimension civique qui se matérialise par l’Engagement des étudiants dans un ASC, constitue l’essence de l’Apprentissage par le Service Communautaire et c’est cet aspect qui le différencie des autres types de partenariat entre les institutions universitaires et les organismes communautaires.

- Les organismes communautaires ou communautés: en tant que partenaire à part entière d’un programme d’ASC, les membres de la communauté fournit les savoirs et toutes autres informations pertinentes sur la thématique choisie. Ils indiquent leurs besoins et les services répondant à ces besoins. Ils sont responsables de l’orientation des étudiants au cours de l’apprentissage expérientiel sur le terrain. Ils jouent également le rôle précieux en fournissant une évaluation du sens de responsabilité observé chez les étudiants durant le service. En tant que co-éducateurs, ils pourraient être invités par le professeur à faire un exposé sur la thématique choisie.

- Les étudiants : ils sont à la fois des apprenants et des fournisseurs de services à la communauté. Ils sont préparés à cet effet par l’enseignant afin qu’ils s’engagent activement dans l’accomplissement de service au bénéfice de la communauté. Un des aspects important dans la préparation des étudiants est la préparation comportementale des étudiants, l’attitude et l’éthique à observer durant le service. Cette préparation est essentielle pour réussir des interactions responsables et respectueuses des différentes capacités, visions et aspirations de la communauté.

La planification d’apprentissage service
Elle comprend les étapes suivantes :

L’identification de la thématique : la thématique choisie est l’élément fédérateur et le point de convergence de tous les acteurs engagés dans une expérience d’ASC. La thématique doit être liée aux apprentissages universitaires prescrits dans les programmes d’enseignement. Elle doit être d’un intérêt important pour les communautés. La thématique identifiée englobe le sujet de l’étude et la ou les problématiques qu’elle soulève. Les services qui seront accomplis visent à apporter des solutions aux problèmes soulevés. La place de l’étudiant est centrale dans la recherche et la mise en œuvre de ces solutions.

Dans le cas précis de notre expérience, nous avons choisi la thématique suivante : Quelle convergence des savoirs et des pratiques pour une gestion durable des ressources semencières dans la communauté rurale de Kambila ?

Cette thématique est d’une importance capitale, car les semences constituent la pierre angulaire de l’agriculture et les semences paysannes la matière première pour la sélection et l’obtention des semences améliorées. Les deux communautés universitaire et rurale se retrouvent autour de la même ressource que sont ces semences ; elles sont toutes les deux intéressées par sa gestion durable et en même temps préoccupées par le rythme et l’ampleur de son érosion. Cependant ces deux institutions dialoguent très peu et affichent des rapports de forces très inégalitaires préjudiciables à la gestion durable des ressources semencières. En effet, les paysans et les paysannes continuent de domestiquer et d’entretenir la diversité semencière dans leurs terroirs. Ces semences dites paysannes ou traditionnelles constituent le substrat, la matière première de la sélection moderne et de la production des semences dites améliorées. Malheureusement, cet apport paysan, fondamental et existentiel pour toute la chaîne semencière et la production alimentaire reste marginalisé dans les politiques agricoles, dans les enseignements, les apprentissages et les recherches universitaires. Cet état de fait a des conséquences multiples qui aggravent l’érosion semencière et renforcent les inégalités entre les différents acteurs qui gravitent autour de la ressource semencière. Les paysans et paysannes ont un accès très faible aux semences améliorées qu’il s’agit des hybrides simples ou des semences à haut rendement à cause du coût élevé de ces semences améliorées. Les bénéfices ainsi générés ne profitent point aux paysans et paysannes qui pourtant continuent de préserver la matière première. Cette forme de marginalisation de l’effort paysan constitue une des causes de l’abandon de la production et de la conservation des ressources semencières de base et donc de l’aggravation de l’érosion semencière. Cet aspect n’apparaît guère dans les analyses et les stratégies officielles de gestion durable des ressources semencières.

Si globalement la paysannerie en tant que moteur de la conservation dynamique des ressources semencières est marginalisée, le rôle des femmes paysannes dans cette activité est profondément occulté. En effet les femmes conservent et entretiennent des semences qui ne sont pas aujourd’hui économiquement rentables, mais qui restent des réservoirs de gènes auxquels les sélectionneurs et les firmes semencières font recours pour renforcer les variétés sélectionnées ou pour tirer des gènes de résistance à des maladies, ou d’autres gènes d’intérêt quelconque. En plus ces semences sont résistantes ; elles germent et poussent dans des conditions climatiques extrêmes, où les semences améliorées ne peuvent point résistées. En plus du maintien de la diversité génétique, les variétés entretenues et conservées par les femmes jouent des rôles capitaux dans le maintien de la fertilité des sols, l’équilibre de la population des prédateurs. Ces aspects renforcent la résilience des écosystèmes agricoles et concourent ainsi à freiner l’érosion. Enfin les variétés aux mains des femmes participent à la sécurité alimentaire des ménages. Ces cultures sont consommées dans les ménages quand les cultures de base telles que le mil, le riz sont épuisées dans les greniers.

Les variétés aux mains des femmes sont qualifiées de cultures mineures par les milieux scientifiques car elles ne sont pas très productives et donc économiquement pas rentables. Mais compte tenu des fonctions essentielles que ces variétés jouent dans le maintien de la diversité génétique, de la sécurité semencière et alimentaire, elles devront être qualifiées de cultures majeures.

Il ressort de ces constats que le processus de la gestion semencière recèle d’inégalités quant’ aux rôles et place des universitaires et des paysans d’une part et ceux des hommes et des femmes d’autre part. Les universitaires sont focalisés sur l’augmentation de la productivité à travers l’amélioration des semences, les communautés paysannes sont plus orientées sur le maintien de la diversité et de la sécurité semencière. A ces deux niveaux, la place et le rôle des femmes sont complètement occultés.

La gestion durable des ressources semencières ne pourra atteindre ces buts sans une reconnaissance et une valorisation de chacun et chacune des acteurs et actrices qui participent dans la chaîne de production et de conservation des semences.

Il est donc indispensable de mettre à la lumière ces formes d’inégalité et d’iniquité socialement construites et qui participent à l’aggravation l’érosion des semences, afin de construire des stratégies concertées pour non seulement freiner l’érosion génétique, valoriser l’apport des femmes et combattre la pauvreté persistante dans les communautés rurales.

La préparation des enseignants et des étudiants : elle consiste à partager les fondements de l’apprentissage par le service dans les communautés en tant que méthode d’enseignement ; à expliciter les concepts clés tels que le service communautaire, l’apprentissage civique, la réflexion critique, les questions de justice et de responsabilité sociale, les tensions entre les intérêts professionnels et les intérêts de la communauté, etc. Dans cette partie les aspects de communication et d’échanges sont aussi traités. La culture universitaire d’acquisition des savoirs étant différente de celle des communautés, une préparation des étudiants et des enseignants s’avère indispensable pour créer des conditions d’échanges adéquates et respectueuses de part et d’autres. Les étudiants qui participent à l’expérience sont des étudiants inscrits en sciences biologiques dans l’option « amélioration variétale ». Le choix des enseignants est fait dans l’optique de construire un groupe interdisciplinaire capable de saisir l’approche holistique des paysans et d’orienter efficacement les étudiants.

La préparation de la communauté rurale : elle consiste à partager avec la communauté la thématique et les objectifs visés afin de s’assurer de leur participation mais aussi de leur engagement en tant que co éducateurs. La communauté à son tour choisit les membres les plus aptes à participer aux activités.

La préparation de la démarche pédagogique : Cette étape vise à assurer une adéquation entre les apprentissages formels prescrits dans les programmes officiels et les apprentissages qui seront faits dans les communautés tout en tenant compte de la thématique choisie. Pour cela la démarche pédagogique adoptée est la suivante : - La définition des objectifs de l’apprentissage académique. Ces objectifs sont définis selon le programme officiel. Dans notre cas il ‘agit de l’amélioration variétale, la discipline qui s’occupe des techniques de production et d’amélioration variétale selon les critères bien donnés. - La définition des objectifs de l’apprentissage civique : dans notre cas nous avons dégagé les objectifs suivants : - Les étudiants doivent être capables de faire un état des lieux des ressources semencières et leur évolution sur une ligne de temps défini par la communauté rurale. Ils doivent également comprendre les pratiques paysannes de sélection et de conservation, d’identifier tous les autres acteurs qui gravitent autour des semences, mais surtout les rapports de force qui existent entre tous ces acteurs. - Les étudiants sont assistés par les professeurs dans la préparation théorique et les propositions d’éventuelles solutions.

La mise en place de la plateforme d’apprentissage : la plateforme constitue la rencontre proprement dite entre communauté rurale et universitaire. Elle se tient dans la communauté qui détermine le lieu et les moments des rencontres. Pour le présent projet la plateforme se tient dans le village de Sonitiègny, un des quinze villages de la commune rurale de Kambila située à 35 km de Bamako. Les échanges se font sur la thématique choisie à l’aide de questions, d’observations directes sur le terrain et de débats. Cette démarche interactive permet aux universitaires d’appréhender les réalités communautaires, de revisiter les connaissances et les présuppositions afin de mieux guider les services à affecter.

Les échanges sont faits en un seul groupe, puis en petits groupes selon les intérêts des uns et des autres. Les nouvelles connaissances apprises et les informations issues de cet échange interactif sont traitées et analysées par les étudiants à l’université avec l’appui des professeurs. C’est à partir de là que les étudiants choisissent les sujets de projet de service.

Les informations traitées sont partagées avec les membres de la communauté lors de la deuxième rencontre afin de vérifier leur exactitude, de les enrichir éventuellement et de les valider. A partir des informations validées par les membres de la communauté, les étudiants préparent individuellement ou en groupe les projets de service.

Ces projets une fois validés au sein de la communauté, sont mis en exécution par les étudiants avec l’encadrement des membres de la communauté et éventuellement l’appui des professeurs.

Les résultats

La présence des femmes dans les échanges
Les femmes ont pleinement participé aux échanges entre communauté paysanne et communauté universitaire. L’exemple des échanges sur les semences végétatives est démonstratif à cet égard. En effet le programme universitaire sur la multiplication végétative enseigne le port vertical pour ensemencer une bouture[1] quelconque. Les femmes rurales ont affirmé et démontré que le port vertical des boutures était peu productif et prenait du temps pour bourgeonner. L’expérimentation des deux méthodes de bouturage sur la canne à sucre a donné raison aux femmes. En effet les boutures ensemencées en position horizontale dans le sol (selon les femmes), ont poussé plus vite que les boutures en position verticale (selon les universitaires). A travers cet exemple très significatif, qui a donné la voix aux femmes, a permis à celles–ci de se montrer actrices et protagonistes, possédant des savoirs très opérationnels face aux universitaires. Cet exemple fascinant a valorisé les femmes au regard des universitaires. Cette valorisation sociale est indispensable dans la construction de la confiance en soi et l’estime de soi, conditions indispensables de l’empowerment.

Les femmes et les savoirs construits
La convergence des savoirs pour laquelle nous nous sommes engagés vise en premier lieu à reculer les frontières de l’ignorance et de la superstition notamment dans les milieux universitaires, mais aussi à améliorer les pratiques endogènes. C’est pourquoi nous avons adopté une démarche inclusive, qui garantit un cheminement collectif et graduel, en mettant en regard les différents niveaux de capacités, raisonnement et d’appréhension de l’objet d’étude. En procédant ainsi, les nouveaux savoirs construits seront reproductibles par chaque participante et participant. La reproductibilité garantit l’accessibilité aux savoirs co-construits et empêche ainsi l’appropriation individuelle des acquis.

La première activité de convergence en cours est l’évaluation de l’efficacité de la cendre dans la conservation des semences. L’utilisation de la cendre pour conserver la semence est une pratique endogène largement utilisée dans la conservation des semences. Cette méthode est accessible et peu coûteuse, elle pourrait être diffusée à grande échelle dans la conservation des semences.

L’évaluation a donc consisté à vérifier deux indicateurs de la viabilité des semences : le taux de germination et le taux d’humidité des semences conservées dans différents types de cendre. Les tests sont faits à la fois à l’université et au village, où les hommes et les femmes y participent. La conservation avec la cendre de caïlcedrat a donné les meilleurs résultats. Ces résultats provisoires sont à confirmer à travers un nombre élevé de tests ; l’expérimentation continue ; les résultats définitifs seront partagés avec l’ensemble des participants et participantes.

Les projets de service pour les femmes
Suite aux échanges, les femmes ont formé leur groupe afin de mieux exprimer leurs préoccupations et ententes par rapport aux activités qu’elles mènent. Ces informations ont été recensées par les étudiants, analysées afin de leur proposer des solutions. Certaines propositions ont été écartées par les femmes. Il s’agit de la création d’une banque de semences paysannes (elles préfèrent garder individuellement au sein de leur ménage leurs semences). Elles ont également écarté l’octroi de crédit individuel préférant le crédit collectif à travers leur association. En définitif trois projets concernant spécifiquement les femmes ont été retenus: le projet de développement et de commercialisation du riz local ; le projet d’accès au crédit local ; le projet de réintroduction du manioc.

La voix des femmes paysannes Je m’appelle Fanta Diarra, c’est la première fois que nous assistons à une expérience pareille. Je souhaite que les étudiants continuent de venir vers nous, afin de concrétiser les promesses. Fanta Diarra Je remercie les étudiants. Les documents (les statuts et règlements intérieurs) vont nous aider à demander des crédits. Assétou Coulibaly

- Le projet de production et de commercialisation du riz local : Ce projet fait suite aux témoignages des femmes qui continuent de cultiver les variétés locales de riz qui sont presque abandonnées au profit des variétés améliorées introduites dans le village. A travers les échanges, les femmes affirment leur attachement à ces variétés à cause de leur résistance aux maladies et aux conditions climatiques difficiles, et surtout à cause des différents plats traditionnels qu’elles continuent de faire avec ces variétés. Les femmes cultivent ces variétés sans ajouts de produits agrochimiques. Les étudiants pensent que ces variétés sont en danger et disparaîtront le jour où ces femmes arrêteront leur culture. Ces variétés constituent un bien commun qu’il faut préserver en encourageant les femmes. C’est pourquoi les étudiants ont décidé de faire une mise en relation des femmes du village avec les organisations féminines de la capitale pour une éventuelle promotion et commercialisation des variétés entretenues. Ils ont donc établi le contact entre les femmes du village et deux organisations de promotion des femmes : WILDAF Mali (Women in Law and Development in Africa) et l’Association Katou. Grâce à cette relation les femmes rurales sont sorties de leur isolement en participant à la foire agricole de la commune IV du District de Bamako en avril 2011.

- Le projet d’introduction du manioc dans le village : Suite aux échanges, les membres du village ont vivement exprimé la baisse de productivité des cultures de base que sont le maïs, le mil et le riz à cause de la baisse de la pluviométrie. Cette situation fait que, la période de soudure[2] devient de plus en plus longue. C’est ainsi qu’un étudiant, ayant des connaissances sur le manioc dont la culture est développée dans son village natal, a proposé l’introduction du manioc pour améliorer la situation alimentaire pendant la période de soudure. Deux variétés de manioc ont été ainsi apportées aux femmes et aux hommes de la communauté rurale. Ces variétés sont présentement cultivées dans le village de Sonitiègny. La proposition de formation des femmes en techniques de transformation du manioc en semoule sèche qui pourrait être utilisée en période de soudure a été également retenue (cette activité est liée à l’augmentation de la culture du manioc).

- Le projet d’accès au crédit : ce projet est la réponse à un constat : la pauvreté matérielle très visible chez les femmes. Aussi à travers les échanges, les étudiants ont constaté la très faible capacité d’épargne des femmes (100 F CFA[3] par semaine). Cette situation donne très peu de chance aux femmes d’améliorer leur situation économique. Les femmes ont souhaité avoir plus de fond pour renforcer leurs activités génératrices de revenus. Les étudiants ont proposé de formaliser les associations de tontines existantes, afin de faciliter l’accès au crédit communal et régional. Pour cela ils ont officialisé le groupement féminin en élaborant les statuts et règlements du dit groupement. Ces documents sont indispensables pour accéder aux micro crédits.

En plus de ces trois projets, les étudiants ont proposé des projets qui profitent également aux femmes. Il s’agit des projets d’introduction des technologies pour faciliter l’exhaure de l’eau pour les activités de maraîchages, la facilitation de l’accès aux semences hybride sélectionnées par la recherche nationale et reproductible en milieu rural, etc. Ces propositions ont été remises aux autorités communales afin qu’elles figurent dans le prochain plan développement communal.

Les étudiants dans les échanges
L’engouement des étudiants est évident. Les étudiants ont appris davantage sur les ressources semencières. Ces connaissances apprises complètent et consolident les apprentissages universitaires. Cet aspect est fondamental car il détermine la qualité d’un ASC (Complémentarité entre apprentissage communautaire et apprentissage universitaire). Les principales connaissances issues de cette initiative pour les étudiants sont entre autres : les modes de production et de sélection des semences paysannes en lien avec la diversité génétique ; les modes de conservation traditionnelle ; l’état des ressources semencières au sein de la communauté (les variétés disparues, les variétés en voie de disparition) ; le lien entre le changement climatique, le régime des pluies et la disparition des semences. En plus un projet de recherche est en cours à la faculté des sciences de l’université de Bamako. Il s’agit de l’évaluation de l’efficacité de la cendre dans la conservation des semences.

La voix des étudiants : J’ai compris qu’à la fin de ma formation je pourrais créer des emplois en direction du monde rural. Kalifa Samaké La malnutrition des enfants est visible. Je suis vraiment choquée par cette situation. Ibiza Théra Je déplore les perturbations universitaires qui ont été négatives pour notre activité. Nissimana Diarra

Les bénéfices d’ASC pour les enseignants
Les enseignants apprennent au même titre que les étudiants. Ils ont eu l’occasion de juger la pertinence des enseignements et apprentissages universitaires face aux besoins exprimés par les communautés. Des cas de confrontation des pratiques paysannes et universitaires sur un même sujet ont montré l’efficacité et l’exactitude des pratiques paysannes. Ces pratiques vont améliorer les enseignements et les recherches universitaires.

Les bénéfices d’ASC pour les communautés En plus des projets de service, les communautés expriment leur grande satisfaction par rapport à la valorisation des connaissances du terroir dans l’éducation des jeunes. Elles considèrent les initiatives d’ASC comme un retour à la maison.

Conclusion

La méthodologie de l’Apprentissage par le Service communautaire va au de là de la recherche partenariale. Elle est une méthode pédagogique qui vise intentionnellement le développement des capacités chez les apprenants, pour une citoyenneté plus active dans leur environnement social. A ce titre l’ASC peut être un outil efficace qui donnerait plus de visibilité à des discriminations plus pernicieuses liées au genre et aux catégories socio professionnelles au Mali. Pour le cas précis des savoirs, l’ASC ouvre des perspectives plus égalitaires et équitables entre femmes et hommes ; quant on sait que les savoirs détenus par les femmes sont sous tutelle, dilués dans le patrimoine commun et contrôlés par les hommes.

La méthodologie peut être appliquée à plusieurs sujets. Les organisations de la société civile qui défendent la diversité des savoirs, la convergence des savoirs dans la résolution des grandes problématiques (changement climatique, sécurité alimentaire, gestion des ressources naturelles, etc.) pourront également développer cette démarche dans leurs activités.

L’ASC dans le contexte africain est une des solutions du rapprochement des savoirs endogènes et universitaires qui cohabitent, mais qui se croissent difficilement. Les apprentissages hors universitaires permettent également aux universitaires de sortir de leur tour, de mieux appréhender les réalités du terrain, de juger l’efficacité et l’efficience de leur système face aux réalités et besoins des populations majoritairement rurales.

Elle exige plus de disponibilité aussi bien pour les étudiants que pour les professeurs comparée à la méthode conventionnelle en cours.

Elle nécessite également des ressources additionnelles difficilement mobilisables dans les contextes actuels, où cette méthode, bien qu’appréciée des autorités reste encore marginale.

Compte tenu de la durée de l’expérience (trois ans), il serait prématuré de dégager des impacts tangibles. Cependant, les perspectives s’annoncent positives à travers l’implication des femmes dans la dynamique et surtout les différents services qui leur sont spécifiquement adressés.

Les services nationaux de l’éducation pourront s’approprier cette démarche afin de dynamiser les enseignements et les apprentissages et améliorer ainsi la fonction sociale des universités africaines. J’espère que une diffusion large de cette initiative auprès des organismes régionaux et internationaux de financement permettra de mieux faire connaître cette expérience capitale dans l’orientation des politiques de savoirs et du développement du monde rural dans les pays en voix de développement.


* Assetou Founé est professeur en Science biologiques à l’Institut Africain pour l’Alimentation et le Développement Durable (IAD), Faculté des Sciences et Techniques de l’Université de Bamako, Mali.

[1] Fragment d’un végétal mis en terre pour faire une nouvelle pousse.

[2] C’est la période pendant laquelle les stocks de céréales sont épuisés dans le grenier. Les populations doivent résister en consommant d’autres types d’aliments avant la récolte prochaine.

[3] Franc de la Communauté Financière Africaine (1 Euro = 655,957 F CFA).

 Universitas Forum, Vol. 3, No. 1, February 2012





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