Rokia Sanogo, Sergio Giani - Universitas Forum, Vol. 3, No. 1, february 2012
EN PRATIQUE
AUGMENTATION DES REVENUS ET EMPOWERMENT DES FEMMES PAR LA VALORISATION DES SAVOIRS LOCAUX SUR LES PLANTES. LE CAS DES FEMMES HERBORISTES DU DISTRICT DE BAMAKO AU MALI

Rokia Sanogo, Sergio Giani *

Introduction

Pendant des millénaires, les populations africaines ont utilisé les plantes médicinales pour leurs besoins de santé. Ces plantes représentent, encore aujourd’hui, le premier recours pour 80% de la population africaine (OMS, 2001). La collecte et la commercialisation des plantes médicinales sont des activités surtout des femmes, qui en tirent des revenus non négligeables, presque toujours investis dans l’alimentation de la famille et dans la scolarisation et les soins de santé des enfants.
En Afrique, le Mali est considéré, depuis les indépendances, à l’avant-garde dans la valorisation des ressources de la Médecine Traditionnelle. C’est ainsi que le document de Politique Nationale de Médecine Traditionnelle (PNMT), élaboré avec la contribution de la Société Civile, a été adopté par le Gouvernement du Mali en octobre 2005 (MS/INRSP/DMT, 2005). L’implication des acteurs de la médecine traditionnelle dans la conservation et l’utilisation rationnelle des plantes médicinales, finalisées à la promotion du développement local et à la lutte contre la pauvreté et la précarité, est une des orientations stratégiques de la PNMT.

L’amélioration des conditions de travail et du revenu des femmes et la valorisation de leurs savoirs et savoir faire sont intégrées dans les politiques de développement du Mali, conformément au Cadre Stratégique pour la Croissance et la Réduction de la Pauvreté adopté en décembre 2006 (RM/Primature, 2006).

Par ailleurs, avec l'urbanisation, la demande de plantes médicinales est en train d’augmenter constamment, car les populations urbaines ont maintenu les traditions concernant leur utilisation. Et les femmes herboristes répondent à cette demande. La commercialisation des plantes médicinales contribue ainsi à la survie des populations des quartiers pauvres urbains et périurbains et des villages environnants.

Présentation de Aidemet Ong

Aide au Développement de la Médecine Traditionnelle, en abrégé Aidemet Ong, est une organisation non gouvernementale malienne à but non lucratif d’utilité sociale, ayant comme objectif la valorisation des ressources de la médecine traditionnelle dans les domaines sanitaire, culturel, environnemental et socio-économique. Aidemet Ong est engagée dans la recherche et le développement pour la promotion de la collaboration entre la médecine traditionnelle et la médecine moderne dans la prévention, la référence réciproque et la prise en charge rapide des problèmes prioritaires de santé ; entre autres, la promotion de la maternité à moindre risque et la lutte contre le paludisme, le VIH-SIDA et la Tuberculose. L’ambition d’Aidemet Ong est de participer à l’amélioration de la santé des populations par le renforcement des systèmes locaux de santé, dans le cadre de la promotion d’une vision Africaine de la santé communautaire. Aidemet Ong opère aussi pour l’implication des acteurs de la médecine traditionnelle dans la protection, la restauration et l’exploitation durable des plantes médicinales.

Le projet d’appui aux femmes herboristes

Les objectifs du projet
L’objectif général des actions menées était de lutter contre la pauvreté et la précarité et d'améliorer la qualité de vie des femmes herboristes du District de Bamako, tout en participant à la gestion durable des ressources naturelles. Les principaux objectifs spécifiques étaient : (i) d’améliorer les conditions de travail et les revenus des femmes herboristes du District de Bamako, (ii) d’améliorer la qualité des plantes médicinales vendues aux populations, (iii) de participer à la sauvegarde de la biodiversité végétale, et (iv) de favoriser la transmission des connaissances aux jeunes générations.

Description du projet
A partir de l’année 2005, à la suite d’une formation de femmes herboristes du District de Bamako sur les bonnes pratiques de récolte, de séchage et de conservation des plantes médicinales, Aidemet Ong a lancé la campagne d’adoption d'une herboriste (Sanogo et Giani, 2007), qui a permis de fournir à plus de vingt-cinq herboristes des kiosques pour la vente des plantes médicinales accompagnées par des activités de formation. Les herboristes ont été choisies par les Associations des Thérapeutes Traditionnels et Herboristes, partenaires du projet ; les critères de choix étaient, entre autres, l’ancienneté dans l’Association et la régularité dans le payement des cotisations.

L’outil de formation des herboristes sur les plantes médicinales, qui a été utilisé pendant les différentes formations, en s'améliorant au fur et à mesure, est composé de dix modules. (Sanogo et al, 2011). Les modules sont basés surtout sur des images significatives de compréhension facile, pouvant être appréciées par un public en majorité non alphabétisé. Pendant la formation, des échanges ont été prévus sur l’ensemble de la filière des plantes médicinales et la relative chaîne des valeurs. Des sessions de formation ont concerné aussi l’initiation des femmes herboristes à la gestion financière simplifiée des kiosques (Diarra, 2011). Dans une phase suivante, il est prévu d’organiser une formation sur la gestion des fonds de micro-crédits autogérés. Toutes les activités de formation et de suivi des femmes herboristes ont été menées dans la langue bamanankan.

Avant et après les interventions, différentes enquêtes ont été menées pour mesurer l’impact des kiosques sur le travail et les revenus des herboristes et pour comprendre l’appréciation des herboristes et des clients concernant les améliorations souhaitées.

Les partenaires
Les activités d’accompagnement des herboristes ont été menées en partenariat avec l'Association des Thérapeutes Traditionnels et des Herboristes du District de Bamako (ATTHDB-Keneya Yiriwaton), dans le cadre du protocole d’accord signé en 2004. En 2006, Aidemet Ong a signé un protocole d'entente aussi avec la Fédération Malienne des Thérapeutes Traditionnels et Herboristes (FEMATH).

Les activités de formation ont aussi été menées en partenariat avec d’autres organisations de la société civile, entre autres la Fédération des Associations Maliennes pour l’Assainissement et la Protection de l’Environnement et le Centre Amadou Hampâté Bâ. Aidemet Ong a également fait appel à d’autres compétences spécialisées, entre autres de l’Institut d’Economie Rurale (IER), l’Institut Polytechnique Rural de Formation et de Recherche Appliquée (IPR/IFRA) de l’Université de Bamako et le Département Médecine Traditionnelle de l’Institut National de Recherche en Santé Publique (DMT/INRSP), pour ce qui concerne les méthodes de collecte et de conservation des plantes médicinales et la sauvegarde de la diversité biologique.

La fourniture des premiers kiosques aux herboristes a été réalisée grâce au partenariat avec des différentes organisations: l’Associazione Europea di Medicine Tradizionali (Association Européenne de Médecines Traditionnelles - AEMETRA, Italie), Hope Foundation (Suisse) et la Société Française d’Ethnopharmacologie.

Les résultats
Le résultat le plus important et concret atteint jusqu’à présent a été la fourniture de vingt-cinq kiosques pour la vente des plantes médicinales à des femmes herboristes des marchés de Bamako. Ce qui a permis d’améliorer leurs conditions de travail, leurs revenus et la qualité des plantes médicinales vendues aux clients, tout en diminuant la pression sur les ressources naturelles . En même temps, les actions ont amélioré l’image des herboristes auprès d’elles mêmes et la perception de l’importance de leur travail auprès des clients, des respectives familles et de la communauté.

Nous estimons qu’autour d’un kiosque devraient opérer environ cinq personnes. Donc les 25 kiosques bénéficieraient à environ 125 personnes. Etant donné que, selon une enquête récente (Traoré et al, 2011) conduite par la FEMATH sur un échantillon de 45 femmes herboristes, chaque herboriste reçoit en moyenne entre 10 et 20 clients par jour, les personnes bénéficiant de plantes médicinales de qualité améliorée seraient entre 250 et 500 par jour et entre 90.000 et 180.000 par an.

Les femmes herboristes
Les herboristes sont généralement d’âge mûre, entre 48 et 55 ans, mais avec un âge minimum de 18 ans et au maximum atteindre 101 ans. Elles sont en majorité mariées ou veuves ; elles ne sont ni scolarisées ni alphabétisées dans les langues nationales et elles ont en moyenne 15 ans d’expérience. Elles exercent le travail d’herboristes en grande majorité à temps plein. 39% d’entre elles sont exclusivement herboristes, tandis que 61% sont en même temps des thérapeutes traditionnelles. L’origine de leur savoir est en grande partie familiale, mais une bonne partie d’elles ont appris auprès d’autres herboristes ou thérapeutes traditionnels. En ce qui concerne la transmission du savoir, 65% d’elles sont en train de former une ou plusieurs personnes dans la famille. Une bonne partie collecte directement les plantes médicinales, mais la majorité les achète aussi à travers les échanges entre herboristes.

Les clients
Le nombre de clients par jour déclaré par les herboristes varie beaucoup (de 1 a 100), avec une moyenne de 10 a 20 clients par jour. Les clients sont en majorité des femmes (72%).

Les maladies
Les maladies les plus citées sont mentionnées dans le tableau suivant :

Tableau n. 1 : les maladies les plus citées
Maladie Fréquence
Paludisme 78%
Candidose vaginale 52%
Dysménorrhée 25%
Poussée des dents 19%
Gastrite 16%
Hémorroïdes 15%

Les recettes
Le tableau n° 2 montre la comparaison entre deux échantillons homogènes de 25 herboristes ayant reçu et n’ayant pas les kiosques.

Tableau n. 2 : comparaison des moyennes des recettes par jour en F CFA
Herboristes Minimum Maximum Moyenne
Sans Kiosques 1 167 - 3 462 - 2 314
Avec Kiosques 1 183 - 5 588 - 3 385
Différence +1% +61% +46%

Les recettes moyennes par jour déclarées par les herboristes ayant reçu les kiosques sont en moyenne supérieures de 46% aux recettes des herboristes n’ayant pas reçu les kiosques. Une étude comparative a en outre démontré que le revenu mensuel des herboristes dotées de kiosques était supérieur de 38% à celui des herboristes sans kiosques (Traoré et Traoré, 2011 ; Traoré et Koné, 2011).

Une enquête menée en 2002 (Diallo et al., 2002) a déterminé les revenus de 100 femmes herboristes du District de Bamako. Les revenus des femmes herboristes auraient ainsi augmenté entre 2002 et 2011 respectivement de 2,5 fois pour les herboristes sans kiosques et de 3,7 fois pour les herboristes avec kiosques.

Histoires des femmes herboristes

Mme Sitan Traoré :
J’ai 63 ans. Je suis malinké et je suis née à Naréna (Cercle de Kangaba) dans la Région de Kayes. Mon père était thérapeute traditionnel. C’est moi qui m’occupais des femmes et des enfants, lui-même, il s’occupait des hommes. J’allais souvent en brousse avec lui pour collecter les plantes. J’ai donc commencé cette activité d’abord au village, puis je suis arrivée à Bamako où je l’ai continué. Actuellement, je suis en train d’initier mon benjamin et mes belles-filles : je ne veux pas faire les mêmes erreurs que nos grands parents, qui ont été enterrés avec beaucoup de savoirs. Au début, les hommes étaient plus nombreux et ils ne voulaient pas que les femmes fassent cette activité. Cependant, ce sont les femmes qu’ils utilisent pour la cuisson des plantes et pour soigner les malades ; les femmes ont ainsi appris d’elles-mêmes, petit à petit. J’ai participé à beaucoup de formations, même au Département Médecine Traditionnelle. Dans mon travail, j’ai rencontré beaucoup de difficultés : surtout la méchanceté et l’égoïsme. Des fois, on nous a traitées même de sorcières. Je traite beaucoup de patients gratuitement, surtout quand ils n’ont pas d’argent. Je n’ai pas une place fixe et sûre pour mener mon activité. Le Président de la Fédération Locale des Thérapeutes Traditionnels et Herboristes (FELATH) a été un grand soutien pour moi. Le Projet de Aidemet Ong vient de nous donner plus d’espoir encore. Je souhaite qu’ils continuent dans ce sens et nous n’allons pas les décevoir, car nous mettrons à profit les compétences acquises pour progresser. Nous apprécions les kiosques, car ils permettent la conservation et l’exposition ordonnée des plantes médicinales, ainsi que leur sécurisation pendant la période de fermeture.

Mme Sata Diarra :
J’ai 30 ans. Je suis bambara et je suis née à Banan, Cercle de Bougouni, Région de Sikasso. Depuis mon enfance, je suivais ma mère au marché de Dibida. Petit à petit, j’ai aimé cette activité et j’ai décidé de la pratiquer. Même maintenant, c’est ma maman qui m’aide à identifier les plantes médicinales les plus difficiles. Moi, je suis en train d’initier mon jeune garçon à mon activité. Pendant les vacances scolaires, il vient m’aider. Je dépose mes produits sur des tables confectionnées pour cela. Je place mes poudres dans des petits sachets. J’attache les feuilles en bottes et je les expose ensuite au soleil. J’ai eu beaucoup de problèmes de place pour exercer mon activité. Après la destruction du marché de Dibida, je suis allée dans d’autres lieux en ville. Mais les lieux étaient pris d’assaut par les agents de la Mairie. Ils ne sont pas intéressés à ce que nous gagnons par jour. Ils vont nous piéger même aux abords de la route. J’ai apprécié beaucoup les formations et je souhaite qu’elles perdurent. Je commence à prendre espoir avec le Projet de Aidemet Ong et je les encourage à continuer à nous soutenir.
Les perspectives
Les résultats des efforts consentis jusqu’à présent nous ont permis aussi d’ouvrir de nouvelles perspectives de réflexion et d’action :
- Aidemet Ong est en train de mener, avec le support de la Coopération Italienne, à travers l’UNOPS, une Recherche-action sur "Autonomisation économique et empowerment des femmes par la valorisation des savoirs locaux sur les plantes".
- La Coopération Italienne, toujours à travers l’UNOPS, est en train d’appuyer aussi les femmes herboristes adhérentes à la Fédération Malienne des Thérapeutes Traditionnels et Herboristes (FEMATH).
- Un Projet d’Amélioration des conditions de vie des femmes qui travaillent dans le secteur des plantes médicinales, aromatiques, tinctoriales et cosmétiques à Bamako et à Ségou est en phase avancée d’instruction auprès de la Coopération Italienne, avec un co-financement de la Région Umbria ; au Mali, le partenaire opérationnel du Projet est Aidemet Ong et le partenaire institutionnel est l’Agence pour la Promotion de l’Emploi des Jeunes (APEJ).

Globalement, environ 230 nouveaux kiosques et d’autres matériels devraient être mis à disposition des femmes herboristes du Mali pendant les années à venir, avec l’accompagnement d’activités de formation et d’un fonds autogéré de micro-crédits.

Le dit fonds sera alimenté par une dotation initiale des projets et aussi par les remboursements mensuels des herboristes qui ont reçu les kiosques et les cotisations des autres herboristes qui n’ont pas encore reçu les kiosques, si elles sont intéressées à en avoir, suivant le système traditionnel des tontines.

Le principe du fonds autogéré de micro-crédits est que l’argent prêté, même si sécurisé dans une institution formelle de crédit, appartient aux femmes. Elles mêmes établiront les modalités d’accès et de remboursement des prêts, ainsi que les taux d’intérêt à payer, en fonction des activités à financer. Les intérêts payés par les femmes n’iront pas à l’institution de micro-crédits, mais contribueront à l’alimentation du fonds. Ainsi les femmes herboristes pourront accéder à des crédits pour le fonctionnement de leur activité, à savoir pour un fonds de roulement ou pour l’achat des plantes médicinales, mais aussi pour les investissements, notamment pour l’achat de matériels de conditionnement et d’outils de travail. Nous nous proposons d’accompagner tout ce processus avec des « incubateurs » de micro-entreprises finalisées à la mise en valeur des connaissances des femmes sur les plantes.

Témoignages des femmes herboristes

Mme Awa Sidibé :
Pour prélever des racines, il y a une manière de faire : quand on en coupe une, on saute la suivante et pour que le nombre prélevé ne soit pas très importante pour une plante, on passe à une autre plante. On procède de la même manière avec les feuilles. Je coupe d’abord mes échantillons en morceaux et je les étale au soleil pendant trois jours. Ensuite je les place dans des sacs. Les sacs à leur tour sont placés sur des pierres pour éviter le refroidissement de mes produits. Les guis sont placés dans des corbeilles. Au Marché de Médine, nous disposons de trois moulins pour pulvériser nos produits. Nous achetons des sacs de 100 kg pour la conservation des poudres.

Mme Aminata Diakité :
Pour prélever les racines, j’enlève quelques unes et je recouvre les autres. Quand j’enlève des écorces, je recouvre ensuite la partie dénudée avec de la boue et elles régénèrent en quelque jour. Sans les intermédiaires, je paye les échantillons de plantes médicinales aux femmes des villages qui les ont récoltées à 50 F CFA. Avec les intermédiaires, je les paye à 100 F CFA. Pour la vente, j’ajoute entre 25 et 50 F CFA au prix d’achat. Il y a une franche collaboration entre les herboristes. Il n’y a aucun malentendu entre les différents acteurs de la filière. Les intermédiaires peuvent gagner à peu près 50 F CFA par échantillon.

Mme Djénéba Samaké :
A Djicoroni, nous avons déposé la somme de 125.000 F CFA dans une caisse d’épargne. Il parait que la caisse a fait faillite. Nous n’avons pas pu récupérer notre argent jusqu’à ce jour, malgré que nous ayons tous les papiers de la caisse attestant notre versement. Nous n’avons plus confiance aux caisses d’épargne.

Mme Aminata Ouattara :
Moi, je suis trésorière générale de mon association et secrétaire adjointe aux relations extérieures de la FEMATH. Etre en groupe est plus intéressant que d’être seule. J’ai beaucoup appris dans les associations. Les échanges d’expériences et d’idées apportent beaucoup de connaissances. Cependant, parfois il y a des problèmes avec certains hommes qui croient de tout connaître.

Les défis

Le premier défi a été de démontrer que les femmes herboristes sont détentrices de connaissances importantes pour la santé, pouvant ainsi commercialiser des plantes médicinales qui facilitent l’accès des populations défavorisées aux soins à des prix accessibles, tout en participant au développement local et à la réduction des inégalités et des précarités.

Le deuxième défi a été de conjuguer la valorisation des plantes médicinales et la sauvegarde de la biodiversité végétale: l’exploitation durable de la filière des plantes médicinales n’est possible sans leur protection et leur domestication, dans le cadre de la gestion écologique du terroir. Par ailleurs, les acteurs de la médecine traditionnelle connaissent des techniques traditionnelles de récolte des plantes médicinales dont le respect et la valorisation pourraient contribuer à la survie des espèces. Pour ce faire, nous nous proposons dans les prochaines étapes, de remonter la filière, en passant des femmes herboristes aux femmes qui collectent les plantes, pour pouvoir échanger avec elles sur les techniques de récolte qui assurent la survie des espèces.

Le troisième défi a été la pérennité de l’action: dans ce cadre, Aidemet Ong se propose de rechercher des stratégies pour assurer le support, d’abord, et la relève, par la suite, des « vieilles » herboristes par des femmes plus jeunes de leur entourage. L’idée est de mobiliser, autour de chaque vieille qui a bénéficié du kiosque, un petit groupe de femmes plus jeunes, filles, nièces ou belles-filles de la vieille, pour assurer, d’une part, la transmission des connaissance sur les plantes médicinales aux jeunes générations et, d’autre part, la durabilité, mais aussi la continuité et le renforcement des services rendus aux populations.

Le dernier défi et, peut être, le plus difficile, est d’accompagner les femmes herboristes dans le passage du secteur informel à la formalisation de leurs activités. Certes, les femmes herboristes payent déjà les impôts pour les espaces qu’elles occupent dans les marchés, en espérant ainsi que leur présence soit tolérée. Cependant, le chemin à parcourir, en partant du travail informel, mais efficace et utile, des vieilles herboristes pour arriver à des micro-entreprises organisées de transformation et de vente de plantes médicinales, est certainement long et difficile. Nous espérons d’être à mesure de relever le défi d’accompagner les femmes herboristes dans ce chemin. Mais il faudra que le contexte social et politique de la cité puisse aussi évoluer, dans la direction du renforcement de la bonne gouvernance locale et du développement de l’esprit de citoyenneté. C’est ainsi que les femmes en général, et les femmes herboristes en particulier, pourront apprendre à s’acquitter de leurs devoirs et à revendiquer leurs droits.

Les enseignements tirés

Le principal enseignement qu’Aidemet Ong a tiré des expériences menées dans la valorisation des ressources de la médecine traditionnelle en général, et dans l’accompagnement des herboristes en particulier a été l’importance de la méthodologie et des approches à utiliser. Il s’agissait d’une méthodologie et des approches réellement participatives, où les acteurs locaux étaient sujets et non pas objets des actions, qui ont été conçues et développées en collaboration avec les organisations des herboristes.

Les expériences d’Aidemet Ong ont démontré que l’appropriation par les acteurs de la médecine traditionnelle des activités de protection et de culture des plantes médicinales est gage de succès dans ce domaine, mais cela n’est pas toujours facile. Les thérapeutes traditionnels et les herboristes peuvent bien véhiculer le message de la sauvegarde de la diversité biologique végétale auprès des populations rurales.

Par ailleurs, il est indispensable de garder le contrôle de la filière dans les mains des thérapeutes traditionnels et des herboristes, pour éviter l’exploitation excessive et l’épuisement de la ressource par des récolteurs non professionnels.

Les éléments d’innovation

La première innovation a concerné les modalités de stockage et de vente des plantes médicinales, qui étaient auparavant vendues à même le sol dans des conditions hygiéniques critiques. L’introduction des kiosques a permis aux herboristes d’améliorer leurs conditions de travail, leurs revenus et la qualité des plantes vendues aux clients, tout en diminuant la pression sur les ressources naturelles. En même temps, l’action d’appui a amélioré l’image des herboristes auprès d’elles mêmes et la perception de l’importance de leur travail auprès des clients, des respectives familles et de la communauté.

Une autre innovation a concerné les approches: il n’est pas usuel que les actions dans le domaine des plantes médicinales soient menées selon les priorités exprimées par les acteurs, et pas en fonction des préoccupations des chercheurs et des développeurs. Il n’est pas usuel aussi que les actions dans le domaine des plantes médicinales concernent les femmes, parce que l’opinion commune est que la médecine traditionnelle au Mali est une question d’hommes. En outre, dans les familles, le savoir sur les plantes médicinales des pères n’est pas généralement transmis aux filles, car avec le mariage elles amènent ce savoir hors de la famille. Les expériences de Aidemet Ong ont démontré que dans le domaine des plantes médicinales, il existe des connaissances et des compétences spécifiques aux femmes et qu’elles se les transmettent de génération en génération.

La reproductibilité

Les actions menées peuvent bien être reproduites en les adaptant dans d’autres localités du Mali, surtout en milieu urbain, dans les capitales régionales et dans certaines villes secondaires. Les conditions de réussite sont l’existence dans les marchés locaux d’herboristes spécialisées dans la vente des plantes médicinales et une bonne organisation des acteurs de la médecine traditionnelle. L’engagement et la disponibilité des autorités communales sont aussi importants. Nous ne pensons pas que le Mali soit un cas unique en Afrique, pour cela, l’expérience peut bien être reproduite aussi dans d’autres pays Africains. Les conditions de réussite sont l’engouement des populations pour les plantes médicinales, l’existence d’une organisation forte des acteurs de la médecine traditionnelle et la présence d’un réseau d’herboristes, ainsi que d’organismes d’appui engagés, tenaces et compétents.

Réflexions conclusives

Traditionnellement, dans le temps, les plantes médicinales ont toujours eu une valeur d’usage, mais n’avaient certainement pas de valeur d’échange. Même l’activité de thérapeute traditionnel n’était pas une profession, mais une obligation et un devoir social. Le payement des soins était souvent symbolique et se faisait après guérison, en nature et selon les possibilités et le degré de satisfaction du patient. Souvent les soins étaient complètement gratuits pour les populations du même village que le thérapeute. Il est encore substantiellement ainsi aujourd’hui en milieu rural. Tous et chacun ont accès à la ressource et personne ne paye pour les plantes médicinales. Les éventuelles difficultés d’accès sont liées à la raréfaction des espèces médicinales à cause des changements climatiques, de la pression des cultures de rente, de la production de charbon et de bois de chauffage sur les espaces en conditions de naturalité, mais aussi aux récoltes destructives effectuées par des récolteurs non professionnels. C’est avec l’urbanisation et la monétarisation qu’à Bamako et dans les villes secondaires des régions, les soins traditionnels sont en train de devenir une profession et qu’un marché des plantes médicinales s’est développé.

Nous pensons que les femmes herboristes ont su s’adapter mieux que les hommes aux défis de l’urbanisation. Elles ont démontré l’intelligence et la flexibilité collective nécessaires à transformer leurs « petites » connaissances traditionnelles, accumulées dans le temps et transmises par des générations de femmes, en une activité commerciale, en même temps sociale et économique, présente dans tous les marchés des villes. Elles ont su organiser de façon complètement autonome un réseau fonctionnel et solidaire de collecte et de distribution des plantes médicinales, en gardant un lien solide entre les femmes restées dans les villages et les femmes émigrées dans les villes. Elles ont aussi réussi à organiser des formes autogérées et solidaires de financement. Elles assurent ainsi la disponibilité aux femmes des villes des plantes médicinales nécessaires aux soins de santé d’elles mêmes, de leurs enfants et de leurs hommes, mais aussi aux traitements spécialisés prescrits par les thérapeutes traditionnels aux uns et aux autres. Elles répondent à une demande sociale et assurent un service de proximité à des prix très abordables, tout en générant des revenus qui sont investis, en ville comme aux villages, à support de l’économie familiale, en premier lieu pour faire face aux dépenses de santé, d’alimentation et d’éducation des enfants .

Témoignages d’hommes

M. Famoudou Koné :
En milieu malinké, il y a une méthode traditionnelle d’apprendre aux jeunes à reconnaître les espèces médicinales, au niveau du « lotou » et du « djétou » à l’occasion des cérémonies d’initiation des nouveaux circoncis.

M. Mohamed Fall (FEMATH) :
En brousse ce sont les vieilles femmes qui aident les parturientes à accoucher et soignent surtout les nouveaux-nés. Elles ont transmis toujours leurs savoirs à leurs filles et petites-filles. Le système de transmission entre les femmes est plus important et facile que chez les hommes, c’est ainsi qu’à nos jours, il y a plus de femmes herboristes que d’hommes. La FEMATH regroupe aujourd’hui 125 Associations de Thérapeutes Traditionnels de toutes les régions du Mali. Le recensement des adhérents est en cour ; cependant, nous pouvons estimer environ 7.000 membres, dont 30% sont des femmes. Au niveau de la FEMATH, les femmes jouent un rôle très important : dans notre Bureau National il y a 9 femmes, sur 41 membres. Les femmes ne s’occupent pas seulement des problèmes des femmes, mais aussi de l'organisation, des relations extérieures, des conflits et autres. Par ailleurs, il existe dans la médecine traditionnelle des connaissances qui sont spécifiques des femmes. L’initiative des kiosques a amené beaucoup de femmes à adhérer aux associations.

Bibliographie
Diallo D., D. Coulibaly, N. Sanogo, K. Nianguiry, et A. Maïga (2002) ‘Les plantes médicinales vendues sur les marchés de Bamako et la conservation de la biodiversité’. Bamako : Communication au Symposium International de l’IOCD, mars.
Diarra M. (2011) Initiation à la gestion financière des Kiosques, Manuel de Formation. Bamako : Aidemet Ong.
MS/DMT/INRSP (2005) ‘Politique Nationale de Médecine Traditionnelle’. Bamako.
OMS (2001) ‘Promotion du rôle de la médecine traditionnelle dans le système de santé : stratégie de la Région Africaine’. Harare : Bureau Régional pour l’Afrique.
RM/Primature (2006) ‘Cadre Stratégique pour la Croissance et la Réduction de la Pauvreté, II Génération, 2007-2001’.
Sanogo R., S. Giani (2007) ‘Un Kiosque pour les herboristes de Bamako’: http://www.Aidemet.org/doc/Kiosques_1.pdf
Sanogo R., S. Giani, M. Diarra (2011) Les plantes médicinales : récolte, séchage, conservation, présentation et vente, Manuel de Formation. Bamako : Aidemet Ong.
Traoré K., F. Koné (2011) ‘Rapport d’enquête auprès des femmes herboristes du District de Bamako n’ayant pas reçu les kiosques’. Bamako : Aidemet Ong, Projet RA Femmes et Plantes.
Traoré K., O. Maïga, S. Traoré (2011) : ‘Rapport d’enquête auprès des femmes herboristes du District de Bamako membres de la FEMATH’. Bamako : FEMATH.
Traoré K., S. Traoré (2011) ‘Rapport d’enquête auprès des femmes herboristes du District de Bamako ayant reçu les kiosques’. Bamako : Aidemet Ong, Projet RA Femmes et Plantes.


* Rokia Sanogo, Ph.D. en Pharmacognosie, est Présidente de Aidemet Ong, Mali, Maître de Conférences Agrégé en Pharmacognosie et mène des recherches sur la Pharmacopée Traditionnelle au niveau du Département Médecine Traditionnelle de l’Institut National de Recherche en Santé Publique.

Sergio Giani, pharmacien, est membre fondateur et chargé des Programmes de Aidemet Ong.

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