Sara Swartz - Universitas Forum, Vol. 3, No. 1, february 2012
EDITORIAL
DECENTRALISATION, DEVELOPPEMENT LOCAL
ET EMPOWERMENT DES FEMMES:
INNOVER LES CONNAISSANCES ET LES PRATIQUES

Sara Swartz *

La relation entre les réformes de la décentralisation, les processus du développement local et l'autonomisation des femmes est le thème principal de ce numéro d'Universitas Forum. En lançant cet « appel à expériences » qui a conduit à la plupart des études de cas publiées ici, nous nous sommes intéressés à comprendre, du point de vue des femmes et des hommes directement engagés dans ces processus dans leurs pays, si oui et comment, ils ont réellement contribué socialement, économiquement et politiquement à donner plus de pouvoir aux femmes, et s'ils ont créé de nouvelles et meilleures opportunités pour les femmes, d'être des agents de changement positif dans leurs communautés. Nous étions aussi intéressés à identifier des pratiques innovantes, des outils, des méthodes et approches qui pourraient faciliter cela, et le rôle des intermédiaires et des alliés tels que les réseaux internationaux et les agences de coopération, les instituts de recherche et les universités.

Les articles, les vidéos et les émissions radio inclus dans la section "en Pratique" parlent d'eux-mêmes et, dans une large mesure, le font directement à travers les voix des femmes et des hommes qui illustrent leurs expériences. La discussion de la table ronde avec les membres de l'editorial advisory board et les contributions de la section " points de vue " offrent une vision sous un angle différent: Ces voix sont celles des bailleurs de fonds internationaux, des hauts fonctionnaires des Nations Unies, des réseaux internationaux, des instituts de recherche et des académiciens, tous engagés sur l'émancipation des femmes et le développement au niveau international. Quels sont les thèmes et les réponses qui émergent de ces différentes perspectives?

Décentralisation et empowerment des femmes

La décentralisation doit être entendue comme le transfert de pouvoir de l'autorité centrale (prise de décision et ressources) au niveau du gouvernement local, impliquant une autonomie accrue et la capacité de déterminer la politique et l'utilisation des ressources à ce niveau. Les réformes de décentralisation sont promues comme moyen de renforcement de la démocratie, d'amélioration de la qualité et de l'efficacité des processus de développement, de renforcement de la participation des citoyens dans les mécanismes de gouvernance et dans les processus de développement qui affectent leurs vies (Cos-Montiel, 2009).

L'émancipation "fait référence à l'obtention ou au regain de son propre pouvoir ou bien à la délivrance du pouvoir à quelqu'un d'autre (...). L'émancipation dans tous les cas doit aboutir à un transfert substantiel de ressources" (Mendell, 2010). L'émancipation est aussi défini comme un processus de transformation des relations de pouvoir entre les individus et les groupes sociaux, un transfert de pouvoir social de trois façons essentielles, en mettant en cause les idéologies qui justifient les inégalités sociales (telles que le sexe ou la caste); en modifiant les modèles dominants d'accès aux (et de contrôle sur) les ressources économiques, naturelles et intellectuelles; en transformant les institutions et les structures qui renforcent et soutiennent les structures de pouvoir existantes (telles que la famille, l'Etat, le marché, l'éducation et les médias) (Batliwala, 1993). Les Conférences clés des Nations Unies des années 1990 ont défini l'émancipation des femmes comme ayant ces cinq composantes: la perception des femmes sur l'estime de soi; leur droit de posséder et de déterminer les choix, leur droit à avoir accès aux opportunités et aux ressources, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la maison, et leur capacité d'influencer l'orientation du changement social afin de créer un ordre social et économique plus juste, au niveau national et international.

Dans de nombreux pays, les réformes de décentralisation ont accordé aux institutions locales plus d'autonomie et de responsabilité dans plusieurs domaines tels que la santé, l'éducation et le développement économique local. Elles ont ouvert de nouveaux espaces institutionnels pour la consultation et la participation citoyenne au sujet des priorités en matière de planification locale et d'allocation des ressources. Cependant une partie significative de la réflexion politique et de la recherche académique arrive à la conclusion que la décentralisation a eu un impact positif seulement marginal, et parfois nul, sur les femmes, tant en termes de protection et de promotion de leurs droits que de pouvoir accru socialement, politiquement et économiquement. En partie, cette conclusion est basée sur la reconnaissance du fait que les mécanismes de gouvernance au niveau local ne peuvent pas en eux-mêmes modifier de façon significative les relations de pouvoir existantes, parce que "les intérêts concurrents pour le pouvoir et les ressources au niveau du gouvernement local fonctionnent selon des modes qui excluent les femmes (...). Des systèmes formels et informels [tels que le rôle des chefs communautaires traditionnels] ainsi que les relations qui dépassent la gouvernance locale limitent l'espace pour la participation des femmes et la prise en compte des questions importantes pour elles" (Cos-Montiel, 2006). Comme Cos-Montiel le rappelle à juste titre, sans mettre en place des pratiques et des espaces réellement démocratiques au niveau local, les processus d'autonomisation restent une promesse non tenue.

La décentralisation n'est pas nécessairement un processus linéaire. Mais les expériences des femmes d'Afrique, d'Asie et d'Amérique Latine racontées dans ce numéro d'Universitas Forum semblent confirmer l'hypothèse qu'elle peut favoriser la démocratie. Ces expériences montrent comment les femmes sont entrain de saisir les opportunités offertes par les réformes de décentralisation selon des modalités importantes. Elles parlent du travail des femmes, comme agricultrices, fournisseurs de soins dans leurs familles et en dehors, productrices et vendeuses de médecines traditionnelles, entrepreneurs, praticiennes para légales, organisatrices et travailleuses communautaires. Leur travail est entrain d'avoir un impact important sur le bien être et la sécurité de leurs familles et des communautés locales. Il promeut la diversité agricole et la sécurité alimentaire, la protection des ressources naturelles, la production des moyens de subsistance, l'épargne pour l'investissement et la préservation des savoirs traditionnels.

Grâce à leur travail, ces femmes, souvent pauvres et marginalisées, s'organisent collectivement à travers des groupements agricoles, des bio jardins potagers communautaires, des groupes d'entraide, des centres de services pour les femmes entrepreneurs, des modèles d'épargne et de crédit ou des "tontines", et à travers des réseaux locaux et des associations. De ces manières, le rôle leader des femmes et les rapports de solidarité sont renforcés, ce qui débouche sur la transformation de l'espace sociopolitique local. Ces femmes sont entrain d'occuper de plus en plus les espaces institutionnels aux niveaux local et intermédiaire, créés dans le cadre des réformes de la décentralisation, et acquièrent les compétences, la confiance et les capacités pour le faire efficacement. Elles sont entrain d'utiliser ces espaces pour donner de la voix à leurs besoins collectifs en tant que femmes et en tant que membres d'une communauté élargie, en construisant des alliances avec les hommes de leurs familles et de la communauté et en obtenant non seulement leur respect mais aussi la possibilité d'être élues aux conseils locaux pour représenter les intérêts de la communauté toute entière. En occupant ces nouveaux espaces, dans de nombreux cas, elles se sont également engagées à les transformer.

Bien sur, il y a encore de nombreux obstacles dans les zones rurales. L'accès à la terre est un obstacle majeur pour les femmes, tant en termes de leurs droits que de leurs moyens de subsistance. Egalement difficile est l'accès au crédit, aux technologies, aux infrastructures, à l'assistance technique et à d'autres d'instruments nécessaires, dont l'absence empêche aux femmes de développer pleinement le potentiel économique de leur travail et d'avoir un impact plus profond sur les indicateurs du développement local. Par ailleurs, les difficultés pour accéder aux opportunités de l'éducation, de la formation et du renforcement des capacités limitent la pleine expression de leur potentiel personnel et économique. Les femmes ont une triple charge de travail, en particulier dans les communautés rurales, ce qui rend difficile pour elles de trouver le temps pour parcourir des longues distances et participer aux réunions ou aux ateliers, avec en plus le risque de perdre le revenu d'une journée. A cause des barrières linguistiques et d'alphabétisation, beaucoup de femmes des zones rurales ne sont pas en mesure de lire le matériel nécessaire pour préparer les réunions des conseils locaux où elles ont été élues. Elles doivent faire face aux stéréotypes, à l'hostilité, à l'harcèlement et même à la violence, y compris la violence sexuelle. La violence sur les femmes, en fait, constitue une violation flagrante des droits humains et entrave la pleine jouissance de la citoyenneté ainsi que la capacité d'exprimer leurs potentialités.

Les femmes comme agents de développement économique et local

D'Ouest à Est les entrepreneurs, les praticiens de la médecine traditionnelle, les agriculteurs et beaucoup d'autres professions clés de la société se déclinent au masculin. Mais, si l'on considère les cas présentés ici, nous voyons que les femmes peuvent avoir non seulement un rôle productif et reproductif dans leurs communautés, mais peuvent aussi contribuer largement au développement économique local, agissant simultanément pour promouvoir le bien être économique et social et le changement politique. Dans ces expériences, le travail des femmes, non seulement génère des moyens de subsistance pour les familles et le développement économique de leurs communautés, mais aussi des systèmes de vie qui sont plus respectueux et en harmonie avec les savoirs traditionnels, les cultures locales, les écosystèmes et la biodiversité.

Des expériences comme celles des Centres de Services pour l'Entreprenariat Féminin (CSEM) en Honduras, les agricultrices et les productrices de jardins potagers communautaires en Inde, les femmes productrices de médicaments traditionnels au Mali et les groupes d'épargne et de crédit en Afrique du Sud, nous montrent que les femmes exercent simultanément leurs potentialités dans des espaces qui sont traditionnellement séparés, mais qui dans la vie des femmes sont étroitement liés : la sphère privée des ménages et des familles ; l'espace public politique, où elles pratiquent le lobbying et le plaidoyer pour les politiques ; le marché, où les femmes négocient pleinement avec les hommes, même si d'un point de départ défavorisé.

Comme plusieurs cas illustrent, il existe des moyens concrets et largement testés pour faciliter l'émancipation économique des femmes et laisser exprimer leurs potentialités. La première étape reste la reconnaissance formelle des femmes en tant qu'actrices économiques (agricultrices, femmes d'affaires etc.) et, plus en général, comme des agents du développement humain et du changement. Sans cette première étape fondamentale, la contribution économique des femmes reste invisible, reléguée à l'économie informelle et sans la possibilité d'accéder à l'association formelle, aux technologies, au crédit, aux infrastructures, à la formation et enfin, non moins important, aux marchés. Les cas montrent aussi que l'accès inégal aux fonds d'équipements, notamment la terre et les droits formels de propriété, constitue un ultérieur obstacle à surmonter.

Il y a une demande féminine accrue de services systématiques et durables au niveau local. Les Agences de Développement Local (ADEL) peuvent offrir des services de haute qualité adaptés aux besoins des femmes dans les domaines de l'accès équitable à la formation, au crédit, aux marchés, aux infrastructures, à l'émancipation personnelle ou à la possibilité de créer des associations. Le cas du Business Centre Service des Femmes (CSEM), lié à l'ADEL de Valle en Honduras, est un bon exemple. Les femmes relèvent avec passion les défis de la croissance de leurs entreprises et de l'ouverture au monde extérieur. Elles participent à des ateliers, des voyages d'étude et des foires pour accroître leur capital social et humain et la valeur ajouté de leur participation collective dans l'épargne et dans les groupes d'entraide. Ces cas illustrent que, souvent, avec quelques apports, mais bien ciblés en ressources, en prise de conscience des droits formels, en renforcement de capacité, en accès aux technologies appropriés et en infrastructures de base, conjugués avec la collaboration des centres de recherche et des instituts de formation et les Ong spécialisées, ces obstacles peuvent être rapidement surmontés et les bénéfices matériels et immatériels pour les femmes et leurs communautés clairement perçus. L'expérience de l'Afrique du Sud met en lumière l'importance d'abattre les stéréotypes sur les potentialités économiques des femmes: l'économie ne se produit pas seulement avec le marché, elle commence par la gestion économique du ménage et a beaucoup à voir avec les relations humaines. L'autonomisation des femmes sur la façon de négocier, l'utilisation de leur argent, la gestion de l'épargne et la priorité des investissements, que ce soit dans l'éducation, la santé ou la production, les aide à appliquer d'inestimables stratégies d'adaptation qui leur évitent de se retrouver coincées dans la pauvreté et l'exclusion plus profonde.

En reconnaissant les potentialités des femmes et leur capacité à être actives dans les transformations en cours, il est particulièrement important de défaire le discours sur les femmes telles des victimes ou des groupes vulnérables qui ont besoin d'une aide extérieure, en particuliers de la part des hommes. Toutefois, bien que le développement économique puisse favoriser la promotion des potentiels des femmes en améliorant leurs conditions de vie - comme la hausse des revenus, un meilleur accès aux services et à la globalité des infrastructures - cette promotion ne peut pleinement aboutir sans l'émancipation politique et la transformation de normes sociales écrites et orales.

Innover les pratiques

Les nombreux outils et pratiques illustrés dans ces expériences ont été conçus pour répondre aux obstacles mentionnés plus haut, auxquels les femmes sont confrontées. Souvent, ces pratiques sont tirées d'autres expériences similaires, mais dans le processus de leur contextualisation et adaptation, elles sont innovées d'une façon importante, en introduisant des méthodes, des idées ou des approches nouvelles.

Les pratiques qui ont été utilisées par les femmes pour tirer profit des opportunités offertes par la décentralisation et le développement local sont nombreuses et mériteraient une analyse plus approfondie que celle qui est possible ici. Elles sont souvent des outils de démocratisation tels que la budgétisation qui tient compte du genre et l'élaboration de processus de planification participative, comme dans les expériences locales à Kerala, au Mozambique et au Guatemala ; l'implication des femmes dans la planification urbaine, comme dans le "Women Plan Toronto" ; la participation des associations de femmes comme dans les conseils départementaux au Guatemala (REDMUCH). Elles incluent l'utilisation des audits sur la sécurité des femmes, la carte des questions qui touchent la sécurité des femmes (dans leurs foyers, les lieux de travail et les espaces publics) et le plaidoyer pour des solutions politiques et pratiques. Les audits sur la sécurité des femmes, démarche pionnière à Toronto, ont été adaptés à une réalité bien différente à Guatemala City et à Livingston, sur la Côte des Caraïbes. La cartographie a été utilisée en Amérique Centrale pour mettre en évidence le réseau informel et invisible des activités économiques des femmes, favoriser la création d'associations attentives à leurs besoins, alimenter la chaîne des valeurs et influencer les politiques. Dans ces cas, le soutien des universités locales ayant une connaissance du système d'information géographique (SIG) a été central.

D'autres pratiques ont introduit des éléments d'innovation pour améliorer l'accès des femmes à l'économie formelle. Améliorer leurs connaissances a permis aux femmes vendeuses de plantes médicinales au Mali de contester l'hégémonie des hommes dans les pratiques traditionnelles et de garantir la préservation des savoirs de génération en génération. En introduisant une simple infrastructure comme un kiosque au marché, non seulement les conditions de travail de ces femmes ont été améliorées, mais aussi leur situation de femmes d'affaires a été consolidée, leur revenus augmentés et la qualité des plantes vendues à leurs clients (ainsi leur santé) améliorée. Un autre exemple important est la création des business centres de services des femmes (CSEM) en Amérique Centrale. Ceux-ci ont été crées dans les locaux des Agences de développement local (ADEL), mais les services ont été adaptés aux besoins spécifiques des femmes entrepreneurs. La constatation que la grande majorité des demandes de crédit faites à l'ADEL venaient des femmes, mais que les montants que celles-ci demandaient étaient généralement plus modestes que ceux des hommes, a conduit à une cartographie détaillée de l'entreprenariat féminin, consistant pour la plupart en activités informelles exercées dans leurs maisons. En Honduras, la collaboration entre l'ADEL de Valle et l'université de Zamorano, a été déterminante dans la mise en place d'une approche multi-phase et multisectorielle pour renforcer l'entreprenariat féminin. Ceci comprenait l'analyse des chaînes de la valeur existantes et potentielles, l'identification des goulots d'étranglement et, enfin, la proposition de fournir aux femmes entrepreneurs des services concrets de haute qualité tels que la formation, l'accès au crédit et (ce qui est très important) des opportunités pour construire l'estime de soi et pour mettre en pratique le droit à la pleine participation dans la gouvernance du développement au niveau local. Il en est résulté l'autonomisation personnelle et la croissance des entreprises féminines dans différents domaines : la gestion des auberges dans les zones à forte potentialité touristique, l'agriculture biologique, les activités culturelles et artistiques, la production artisanale et d'autres.

D'autres approches ont abordé le rôle des femmes en tant qu'agricultrices. Les expériences des groupements agricoles de femmes à Kerala et Maharashtra en Inde, pour donner un autre exemple, ont développé ultérieurement l'expérience de groupes d'entraides par la création de groupes de quartiers qui sont systématiquement liés aux institutions de gouvernement local, tout en innovant cette pratique qui est commune à de nombreux pays en Asie et en Afrique. Les jardins potagers communautaires au Tamil Nadu, en Inde, se sont appuyés sur la pratique très répandue d'avoir des jardins à l'arrière-cour, mais ils ont innové en introduisant et faisant revivre les variétés de légumes autochtones, en contribuant à préserver la biodiversité, mais aussi a garantir la sécurité alimentaire et financière ainsi que la santé des agricultrices impliquées, de leurs familles et des communautés.

Un dénominateur commun qui se trouve dans les expériences contenues dans le présent numéro est le travail de collaboration entre les chercheurs et les communautés rurales pauvres. Cette ‘contamination' des savoirs a conduit à de nombreuses innovations déjà mentionnées. Les cas du Mali et du Chili sont particulièrement significatifs de ce point de vue. En examinant les formes d'apprentissage participatifs et de la recherche liées, dans un cas, aux semences et, dans l'autre, à un nouveau modèle de formation, nous voyons comment cette contamination a non seulement innové les pratiques de développement, mais elle a aussi suscité des innovations au sein des universités elles mêmes.

Savoir, recherche et rôle des universités

La connaissance est au coeur de l'autonomisation. Ce thème est traité sous des angles différents dans un grand nombre des études de cas. La connaissance des femmes, en particulier celle des paysannes pauvres, n'est pas souvent reconnue. C'est la raison pour laquelle, dans le cadre des processus visant à renforcer l'autonomisation personnelle, économique et politique des femmes, beaucoup d'efforts ont été fait pour faire émerger les connaissances locales et leur faire gagner en légitimité. Ceci a produit aussi des avantages concrets pour les femmes impliquées et pour leurs communautés. Les connaissances des femmes sur les plantes traditionnelles et les légumes autochtones ne sont que deux exemples parmi tant d'autres.

En galvanisant cette connaissance locale, la recherche a joué un rôle fondamental. Non seulement les chercheurs ont documenté et analysé les processus innovants, ils se sont engagés directement avec les communautés rurales dans la conceptualisation et l'accompagnement des initiatives et dans le processus ont contribué à beaucoup des innovations : la conservation des semences, les connaissances traditionnelles des femmes sur les plantes médicinales, la cartographie des activités économiques informelles et invisibles des femmes, les exercices en budgétisation sensible au genre, l'audit sur la sécurité, pour n'en nommer que certaines qui ont produit des avantages à bien des égards. Cela a exigé des méthodes telles que la recherche en partenariat, la recherche action participative, la cartographie participative et d'autres qui reconnaissent l'égale dignité des différents types de connaissances et de la façon dont elles sont transmises, au delà du mot écrit. Cette co-construction des connaissances, qui est un puissant outil d'autonomisation et de transformation, a amélioré les politiques et stimulé l'innovation sociale.

Elle est favorisée par un rôle innovant de l'université, comme le montrent les cas du Mali et du Chili. D'une part, les universités ont un important rôle scientifique et politique à jouer dans la découverte et la légitimation des connaissances enfermées dans les communautés locales, en les aidant à les transmettre à l'extérieur et en les poussant vers le haut dans les arènes politiques nationales et internationales. Ce qui requiert, entre autre, de reconsidérer les approches traditionnelles de la recherche scientifique et de la propriété intellectuelle. D'autre part, les universités ont la possibilité de valoriser les nouvelles connaissances et de les intégrer, avec des méthodes innovantes, dans l'enseignement et le renforcement de capacité, en répondant mieux besoins ressentis par les communautés locales, comme dans les expériences mentionnées et bien d'autres.

La coopération et les réseaux internationaux

Dans les expériences publiées ici, les acteurs de la coopération internationale (les donateurs et les ONG internationales), ne jouent pas généralement un rôle de premier plan. Ceci n'est pas parce qu'on a fait le choix éditorial de ne pas les valoriser. C'est la réalité, en effet, qui témoigne de la richesse et de l'omniprésence des processus endogènes, qui sont en plein essor avec le soutien des institutions locales et nationales, parmi lesquelles les universités, les centres de recherche et les ONG jouent un rôle incisif.

Quelle est donc la valeur ajoutée de la coopération internationale? Une réponse évidente est celle des ressources additionnelles que les donateurs apportent aux processus nationaux et locaux de développement. Cependant ces ressources sont données en priorité aux programmes sectoriels (santé, éducation, infrastructures etc.). Par ailleurs, l'intérêt des donateurs pour le développement local et l'empowerment des femmes, bien qu'en augmentation, reste marginal.

Pourtant, plusieurs possibilités émergent et peuvent être saisies. Premièrement, la coopération internationale est l'occasion d'expérimenter de nouvelles approches, comme celle illustrée dans l'expérience du GELD au Mozambique et les projets associés au programme MyDEL en Amérique centrale. Si elle est utilisée de façon stratégique, la coopération internationale peut ouvrir de nouvelles portes et stimuler des façons novatrices de faire les choses. Mais il paraît que le succès de cette approche dépend de la capacité d'identifier et soutenir des processus locaux prometteurs et de les accompagner avec un appui technique, et d'autres soutiens sur une longue période de temps. Cela a certainement été le cas en Amérique centrale, où les CSEM (et les LEDA dans lesquels ils sont intégrés) ont commencé leur histoire avec le processus de paix à la fin des années '80. Le succès dépend aussi du soutien aux institutions locales et nationales, parmi lesquelles les universités et les centres de recherche.

Une autre fonction importante de la coopération concerne le travail de mise en réseau. De nombreuses expériences, comme l'expérience de Groots au Kenya, celles en Ouganda, les ADEL et le CSEM en Amérique centrale pour n'en nommer que quelques-unes, font partie de réseaux nationaux, régionaux et internationaux. Ces réseaux facilitent l'apprentissage entre pairs, le dialogue et les échanges d'expériences, de pratiques et d'instruments. Il fournissent aussi des occasions de faire connaitre des expériences locales et de diffuser leurs acquis au niveau international.

Etroitement lié à cette mise en réseau est le rôle de coopération sud-sud, souvent facilitée stratégiquement et pratiquement par des centres internationaux de recherche, des universités et des acteurs de la coopération décentralisée. Les formes de coopération sud-sud et triangulaire sont en train de créer des réseaux où les pratiques novatrices, les outils et les technologies sont échangés, les enseignements sont partagés et les expériences basées sur des échanges de connaissances sont mises en place et entretenues.

Nous espérons que ce numéro offre de nouvelles perspectives à cet important débat et nous nous réjouissons de poursuivre le dialogue!

(traduit de l'anglais par Haram Sidibé)

Bibliographie
Batliwala S.(1993) Empowerment of Women in South Asia. Concepts and Practices. New Delhi: FAO.
Cos-Montiel F. (2006) "Developing a Research Agenda on Decentralization and Women's Rights in Latin America". Background paper for the IDRC Gender Unit Research Competition, January.
Cos-Montiel F. (2009) "Equal Participation of Women and Men in Decision-Making Processes at All Levels". Written statement submitted for the Commission on the Status of Women, 53rd session, New York, 2-13 March.
Mendell M. (2010) "Empowerment: From Noise to Voice". Universitas Forum 2(2) Settembre 2010.


* Sara Swartz, directrice du Programme Universitas de la KIP International School (Knowledge, Innovations, Policies and Territorial Practices for the UN Millennium Platform), est coordinatrice du comité de redaction de Universitas Forum.

 Universitas Forum, Vol. 3, No. 1, february 2012





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